
En 2025, la santé mentale des jeunes actifs est au cœur des préoccupations RH. Les chiffres sont clairs : près de 6 jeunes actifs sur 10 montrent des signes de burn-out. Cette souffrance ne se limite pas à une surcharge de travail ou à un mauvais management. Elle dit quelque chose de plus profond. Elle renvoie à ce que Freud appelait déjà en 1929 "le malaise dans la culture" : un mal-être inhérent à toute organisation sociale, lié aux renoncements que la société impose à l’individu.
Dans cet article, nous proposons une lecture psychanalytique du burn-out, non pas pour complexifier le sujet, mais pour en révéler les racines invisibles. Car si l’on veut vraiment prévenir l’épuisement professionnel, il faut parfois changer de regard — et interroger les fondements mêmes de notre culture du travail.
Freud et le malaise inhérent à toute culture
Dans Le Malaise dans la culture, Freud part d’un postulat simple : pour vivre en société, l’individu doit réprimer certaines pulsions, notamment celles liées à l’agressivité ou à la sexualité. Cette répression, nécessaire à la vie collective, génère un malaise psychique. En d’autres termes, la culture protège, structure, mais elle fait souffrir.
Appliqué au monde du travail, ce modèle reste terriblement pertinent. Travailler dans une entreprise, c’est s’inscrire dans un cadre normé : horaires, hiérarchies, process, attentes implicites… Tous ces éléments constituent une culture d’entreprise — un système de règles et de valeurs partagé. Mais cette culture, parfois rigide ou désincarnée, peut engendrer chez certains une tension psychique violente, surtout lorsque l’individu est en quête de sens, d’authenticité ou de liberté.
Le jeune actif face au surmoi de l’entreprise
Dans la vision freudienne, le surmoi représente l’instance morale qui juge, culpabilise, exige. Dans l’entreprise, ce surmoi prend aujourd’hui des formes nouvelles :
- L’impératif d’être performant, mais aussi épanoui,
- D’être engagé, mais jamais débordé,
- D’être authentique, mais toujours corporate.
Le jeune actif d’aujourd’hui entre sur le marché du travail avec des attentes fortes : sens, reconnaissance, autonomie. Mais il se heurte souvent à des logiques de rentabilité, de silos, de process figés. Cette dissonance génère ce que l’on pourrait appeler un “malaise productif” : un tiraillement entre ce que l’on voudrait être et ce que l’organisation attend de nous.
Ce malaise n’est pas anodin. Il peut engendrer une fatigue émotionnelle profonde, une perte d’élan vital, un désengagement latent. En psychanalyse, on parlerait presque d’une dépression d’adaptation à un cadre trop éloigné de l’idéal du moi.
Le burn-out comme symptôme du renoncement
Pour Freud, le symptôme est un compromis entre le désir et l’interdit. Le burn-out peut ainsi être lu comme un signal d’alarme, un cri du corps face à un excès de renoncement :
- Renoncement au temps personnel,
- Renoncement à la spontanéité,
- Renoncement à la critique ou à l’expression libre.
Il ne s’agit pas de dire que l’entreprise est une machine à broyer, mais de reconnaître qu’elle peut, si elle n’en prend pas conscience, devenir un espace de déshumanisation douce. Et les jeunes actifs, plus sensibles à l’alignement entre vie personnelle et professionnelle, sont souvent les premiers à en faire les frais.
Que faire ? Vers une culture plus consciente
Pour éviter de transformer nos organisations en machines à mal-être, plusieurs pistes s’offrent aux entreprises :
1. Accepter le malaise comme point de départ
Le bien-être absolu n’existe pas. Mais le refus du malaise, ou son invisibilisation, est ce qui le rend
toxique. Il faut pouvoir le nommer, l’écouter, le travailler.
2. Repenser le cadre de travail
Cela ne signifie pas abolir les règles, mais interroger ce qui peut être assoupli, discuté,
co-construit. Les rituels managériaux, les outils d’onboarding, les temps collectifs peuvent devenir des
leviers de réhumanisation.
3. Offrir un espace symbolique au salarié
La psychanalyse insiste sur l’importance de l’expression. Offrir aux jeunes collaborateurs des lieux où
ils peuvent dire, partager, douter, c’est déjà restaurer une forme de santé psychique.
4. Former les managers à la lecture des signaux faibles
Un manager ne remplace pas un thérapeute, mais il peut être un médiateur du cadre, quelqu’un qui sait
reconnaître quand une exigence devient déraisonnable ou quand un collaborateur s’éteint à petit feu.
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Conclusion : écouter les symptômes pour changer la culture
Freud écrivait que l’homme devient névrosé lorsqu’il ne supporte plus le degré de renoncement exigé par la société. Le burn-out des jeunes actifs pourrait être lu comme le signal d’un excès de renoncement dans nos cultures professionnelles.
Plutôt que de voir ces jeunes comme fragiles ou inadaptés, peut-être devrions-nous les considérer comme des révélateurs, des porteurs de symptômes utiles. Car un symptôme, en psychanalyse, n’est pas une erreur : c’est un message à décoder.
À nous, entreprises, de faire ce travail de lecture. Non pour céder à toutes les attentes, mais pour réconcilier culture et humanité, performance et écoute, cadre et souplesse.